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On le pressentait depuis sa récente signature chez Sargent House, il faut se rendre maintenant à l’évidence : celle qui reprenait Burzum dans son coin est devenue une véritable icône en l’espace de quatre albums. Sans jamais tomber dans le compromis, la musicienne de Sacramento a pourtant réussi la prouesse de mettre d’accord indie-rockers et chantres de l’underground, qu’on pensait encore irréconciliables il y a peu. Si Pain Is Beauty, le dernier album en date, parait plus accessible de prime abord, le mystère qui auréole le personnage reste quant à lui intact. On a cherché à en savoir plus, on s’est retrouvés à discuter de chiffons, de bravoure et de Wardruna.

2013 a l’air d’avoir été une année sacrément intense pour toi…
C.W : 2013 a été une avalanche de tournées, et il y a bien sûr eu le dernier album, Pain Is Beauty. On a vraiment bossé dur, j’ai l’impression de n’avoir fait que ça de l’année en fait…

En parlant de tournées, vous avez surtout partagé l’affiche avec des groupes plus “metal”, comme Russian Circles ou Queens Of The Stone Age plus récemment. Ça a changé quoi pour toi ?
C’est définitivement une autre expérience quand tu tournes avec un groupe comme Russian Circles. Leur public diffère du nôtre parce qu’il est beaucoup plus masculin, ce qui est plutôt cool. Ça a donné une autre ambiance  aux dernières tournées. Chaque concert était un challenge à remporter, un combat pour gagner l’approbation des fans de Russian Circles.

Ah oui, ça passait par jouer plus fort par exemple?
Pas forcément non, on joue déjà très fort quoi qu’il en soit. C’est plus une question de se “perdre” un peu plus dans nos morceaux. Ca ne veut pas dire que je cesse d’être moi-même, je ne vais pas arrêter d’être ce que je suis pour plaire à une typologie particulière de public. C’est juste que parfois, je sens que l’énergie dans une salle est différente, et je me laisse emporter par celle-ci.

En parlant de public, vous êtes un des rares groupes à faire l’unanimité entre un public plutôt branché metal et une autre branche orientée indie-rock, un peu comme Deafheaven. Comment tu positionnes ta démarche là dedans ?
Comme je te disais, je n’écrirai jamais un album dans l’optique de séduire un type particulier d’auditeurs ou de toucher le public le plus large possible. En fait, je ne fais que suivre mes instincts et voir où la musique peut me mener quand je compose. Quand le disque est terminé, je peux enfin me poser et regarder ce que ça donne, comment ça sonne. Pain Is Beauty, par exemple, brasse pas mal de styles, mais la plupart de mes disques étaient déjà comme ça. Sûrement parce que j’aime plein de choses différentes – du metal, de la country, du rock’n’roll – et que ces inspirations finissent par filtrer à travers que je fais. Plusieurs tranches d’auditeurs peuvent s’y retrouver et je trouve ça plutôt cool. C’est assez plaisant de voir l’éclectisme de mon public évoluer en quelques années. Ça me touche beaucoup d’y retrouver des personnes d’âges et de backgrounds aussi variés.

Effectivement , cette diversité rend ta musique difficile à définir. J’ai lu pas mal de tentatives assez maladroites de la faire rentrer dans des cases, du genre « goth folk », « doom folk » ou « dark rock ». Comment tu définirais Chelsea Wolfe, toi ?
J’aime bien dire que ma musique est bipolaire, à personnalités multiples. J’adore connaître toutes les versions d’une même histoire. Je veux montrer le côté obscur comme le côté lumineux. Même si typiquement, j’ai tendance à vouloir chanter à propos de choses très sombres, j’essaie toujours d’injecter un peu d’espoir là-dedans, que cela soit avec la mélodie ou la façon dont je vais faire sonner ma voix. J’aime les contrastes dans ces sonorités. Parfois, j’appelle ça de la « reality-music », parce que j’écris à propos de choses qui se passent dans monde, ou des trucs qui arrivent à mes amis. Des choses réelles à partir desquelles j’écris mes propres histoires, à distance.

« J’aime bien dire que ma musique est bipolaire, à personnalités multiples. J’adore connaître toutes les versions d’une même histoire. Je veux montrer le côté obscur comme le côté lumineux. »

En parlant de contrastes, on a du mal à t’imaginer vivre dans une ville comme Los Angeles. On te verrait plus dans un endroit  moins “peuplé”, plus isolé. Qu’est-ce que te plait dans cette ville ?
Je trouve que L.A. a ses propre ténébres, des ténèbre scintillants et étranges. C’est à la fois rayonnant et crade… Et entre ses habitants et la nature qui encercle la ville, il y a de quoi y puiser de l’inspiration. En fait j’ai aussi décidé de m’y installer pour avancer dans mon boulot, histoire d’ être entourée de gens motivés. J’ai rencontré les gens de Sargent House (son label et management ndlr) peu après y avoir emménagé, ce qui a été plutôt incroyable. Mais tu as raison, je trouve L.A. un peu surpeuplée et je me suis depuis exilée dans les montagnes environnantes, à une heure de la ville. J’y ai retrouvé une certaine paix, de la tranquilité et surtout, une nouvelle énergie.

Il y pas mal de labels et de groupes orientés « musique obscure » qui émergent de Californie en ce moment. Je pense au label DAIS, ou encore The Flenser. Tu as l’impression de faire partie de cette scène ?
Non, je n’ai jamais appartenu à une quelconque « scène ». Honnêtement, je suis plutôt du genre solitaire et je n’en ai jamais vraiment ressenti le besoin. Ça vient sûement du fait que lorsque j’étais plus jeune et que je vivais en Californie du Nord, j’ai un peu essayé de faire partie de ce genre de cercle, sans trop de succès. Je ne me suis jamais sentie vraiment intégrée, j’étais une étrangère pour eux. Du coup je me suis résolue à faire mon propre truc dans mon coin. Un chemin que je poursuis depuis. Ça ne me pose aucun problème, je n’en garde aucune amertume… J’ai mon groupe à mes côtés, avec qui ça se passe très bien. Et puis j’ai aussi dans mon entourage quelques musiciens avec qui le courant passe plutôt bien, des mecs comme King Dude, Russian Circles ou Queens Of The Stone Age…

Est-ce que c’est cette solitude qui t’as amenée à la musique, et plus précisément vers une écriture assez sombre ?
J’écris depuis que je suis très jeune, à commencer par des poèmes et des histoires. Quand j’étais gamine, mon père faisait de la country. À force de le voir dans son studio répéter et enregistrer, j’ai fini par lui demander de m’aider à enregistrer des chansons que j’avais écrites. J’avais neuf ans et je n’ai pas arrêté d’écrire depuis. Ce n’est qu’à partir de la vingtaine que j’ai commencé à m’investir totalement dans la musique. Mais dans mes jeunes années, j’étais déjà à même de comprendre la réalité et sa mélancolie. J’ai très vite été encline à mettre des mots dessus, en partant du constat que pour chaque chose magnifique de ce monde, il y avait quelque part un contrepoint horrible. C’est assez moche, mais c’est la vérité. C’est cette forme d’honnêteté qui m’a initialement amenée à écrire ma musique.

«Dans mes jeunes années, j’étais déjà à même de comprendre la réalité et sa mélancolie. J’ai très vite été encline à mettre des mots dessus, en partant du constat que pour chaque chose magnifique de ce monde, il y avait quelque part un contrepoint horrible. C’est assez moche, mais c’est la vérité. »

La première fois que je t’aie vue jouer, tu étais seule sur scène avec Ben Chisholm (membre à part entière du groupe, co-procducteur, qui officie en solo sous le nom de Revelator, ndlr), toute voilée. C’était très sombre et mystérieux. J’ai l’impression que tu révèles beaucoup plus de choses maintenant, tu n’hésites plus à te montrer. Qu’est ce qui est à l’origine de cette mutation ?
Quand j’ai commencé à jouer de la musique sérieusement ou « professionnellement » – appelle ça comme tu veux-, je ne me sentais vraiment pas à l’aise avec l’idée de devoir monter sur scène et de faire face à un public. Ça m’a pris beaucoup de temps avant de pouvoir le faire et il m’arrive toujours d’avoir le trac. J’adore composer, enregistrer, mais j’ai un problème avec les concerts. Encore maintenant, ce n’est pas quelque chose que je fais naturellement. Dans un premier temps, j’étais donc voilée et me recouvrais intégralement de noir. Une façon enfantine de me sentir invisible et d’être assez à l’aise pour jouer devant des gens, en quelque sorte. Mais je savais qu’un jour je devrais prendre mon courage à deux mains et dépasser cette angoisse.  Alors j’ai commencé à m’intéresser à la mode et avec l’aide de Jenni Hensler, on s’est mise à rechercher des créateurs et des tenues. Histoire de trouver la  façon dont je pouvais m’habiller pour créer un personnage qui m’autoriserait à vraiment me laisser aller sur scène.  La progression a été lente, mais je voulais marquer le coup avec cet album, être plus téméraire. Parce que Pain Is Beauty parle d’un processus de guérison, de la démarche de surpasser les choses les plus douloureuses ou les plus atroces. Personnellement, ça passait aussi par montrer mon visage, sur scène comme sur les pochettes de mes disques.

Chelsea Wolfe, Le Divan Du Monde, Octobre 2013 ©Juliette Bates

« La progression a été lente, mais je voulais marquer le coup avec cet album, être plus téméraire. Parce que Pain Is Beauty parle d’un processus de guérison, de la démarche de surpasser les choses les plus douloureuses ou les plus atroces. »

On fait souvent référence à toi en tant qu’icône, ce qui finalement fait de toi quelqu’un d’assez exposé. Comment gères-tu ça du coup, au vu des angoisses exprimées précédemment?
Oh je ne sais pas. Je n’arrive pas à me projeter moi-même au travers du prisme des autres. J’ai assez de haine envers moi-même pour m’occuper toute une vie (rires).

Pour revenir à cette notion d’apparat, elle me semble très importante dans ton projet. Comment y prends-tu part ? C’est toi qui crée tes costumes ?
J’ai eu la chance de rentrer en contact avec beaucoup de gens adorables et talentueux, des créateurs avec des histoires passionnantes et une esthétique incroyable. Je suis extrêmenent reconnaissante de porter leurs tenues. J’ai précédemment mentionné ma styliste Jenni Hensler, c’est avec elle que je conçois certaines des pièces que je porte sur scène.

C’est aussi elle qui a bossé sur l’artwork de Pain Is Beauty ?
Non, en fait ça c’était mon idée à la base et elle m’a aidée à trouver des robes vintage pour cette pochette. Je voulais vraiment porter une robe rouge sur cette photo, une robe avec un caractère prononcé. L’artwork a été ensuite mis en forme par Trevor Hernandez, qui avait déjà fait pas mal de choses pour Tom Waits dans le passé. J’ai longuement hésité entre la couleur et le noir et le blanc pour cette photo, et mon ami TJ Cowgill (King Dude, ndlr) m’a aidé à à trancher. Il m’a dit sans hésiter d’opter pour les couleurs, ce que j’ai fait. C’est quelqu’un que je consulte beaucoup, surtout quand je dois faire ce genre de choix. Il gère la marque de fringues Actual Pain, alors c’est dans ses cordes. Nous avons également perfectionné ensemble les derniers éléments de cet artwork.

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King Dude et toi avez en effet beaucoup collaborés ensemble, peux-tu me parler un peu de cette rencontre ?
On s’est rencontrés quand j’ai sorti mon premier album The Grime And The Glow. Nous avons partagé une affiche à Los Angeles et j’ai tout de suite accroché à sa musique et sa voix. Nous sommes devenus très vite amis, et ce depuis que j’ai commencé à prendre mon projet au sérieux. On a enregistré quelques trucs ensemble depuis, comme cet EP sorti sur Sargent House où chacun joue une chanson écrite par l’autre. Ou encore plus récemment sur son label, Not Just Religious Music. On est tous les deux très occupés mais c’est quelqu’un avec qui j’essaie de passer du temps et faire de la musique ensemble, au moins plusieurs fois dans l’année.

Vous avez en commun cette esthéthique liée aux sciences occultes, même si ce n’est pas quelque chose de littéralement exprimé dans tes chansons. Ce sont des choses que tu pratiques personnellement ?
Non. C’est quelque chose qu’on me demande souvent, peut-être parce que j’étais un temps sur le label Pendu, dont l’esthétique était majoritairement basée là-dessus. Mais moi je ne suis pas là-dedans. Je suis plus branchée “old cult movies” en fait. Je tire principalement mon inspiration visuelle des films de Bergman et de Lars Von Trier également

Je t’ai découverte avec ta reprise de Burzum, que j’avais beaucoup aimée. Le Black Metal fait-il encore partie des choses que tu écoutes ?
Je ne connais pas trop de nouveaux groupes de Black à part Deafheaven, que j’aime beaucoup. Un de mes groupes favoris reste pourtant Gorgoroth, période Gaahl. J’aime beaucoup son nouveau groupe aussi, Wardruna. Une sorte de folk-music traditionnelle norvégienne avec une nouvelle approche. C’est très beau, je l’écoute souvent.

Et toi, comment vois-tu ton évolution ?
Déjà je veux continuer à essayer des nouvelles choses et à tourner encore avec des configurations variées. Dans l’absolu j’aimerais être assez courageuse pour envisager une tournée solo. On reviendra en Europe cet été sinon. Et puis j’ai un film qui sort bientôt, réalisé par Mark Pellington. Ça s’appelle Lone. C’est un clip qui s’est transformé en un film d’une heure. On y retrouve des chansons de Pain is Beauty et une bande-son que j’ai composé avec Ben Chisholm. Et bien sûr j’écris toujours, alors peut-être qu’un album pourrait voir le jour au printemps prochain.

Chelsea Wolfe sera en tournée en Europe cet été, retrouvez toutes ces dates sur la page dédiée du site de Sargent House.
Le film Lone quant à lui est sorti depuis quelques semaines, il s’achète sur une clé USB par là.

Un grand merci à l’über-talentueuse Juliette Bates pour la photo centrale de Chelsea. Allez donc faire un tour sur son site par ici.